mardi, 03 mai 2016 00:00

« Voici que je fais un monde nouveau. Il germe déjà ; ne le voyez-vous pas ? »

Du 11 au 16 avril 2016, nous sommes parties sur les routes, en plein cœur du Limousin, vivant dans le sillon de St François d’Assise, l’expérience de l’itinérance. Dès notre arrivée, nous avons été accueillies chaleureusement par le Père Gilles, prêtre du Prado, curé de Ste Anne, vaste secteur paroissial de 25 clochers.

Il nous a expliqué les défis de son secteur apostolique, et nous a montré les lieux où nous pourrions nous rendre, pour palper du doigt une réalité ici en « germe »… Nous avons eu la grâce d’être « envoyées » dès le début de l’itinérance, au cours d’une eucharistie, célébrée chez les sœurs du Sacré-Cœur de Jésus, unique Congrégation présente dans le secteur. Nous avons découvert une caractéristique particulière de la paroisse : les « ostensions », qui sont des processions de reliques des Saints, organisées cette année, en juin, à Eymoutiers. Tout au long de l’année, ces ostensions, ont donné lieu à diverses conférences, dans le cadre d’un approfondissement spirituel.

Fortes de ces indications, nous nous sommes mises en route, pleinement tendues vers la rencontre de ceux que le Seigneur mettrait sur notre route. Les rencontres furent très diversifiées et très belles. Chacune de nous a été profondément touchée par le fait qu’un « monde nouveau » germe, en ce coin de campagne profonde. Outre les originaires de ce lieu reculé, nous avons rencontré un certain nombre de personnes, venues de grandes villes, qui ont fait le choix d’une vie plus simple, plus proche de la terre, manifestant le refus d’un monde hyper modernisé et compétitif. Quelques-uns affirment sans ambages que leur religion, c’est « la création », à qui l’on doit le respect. Certains se sont lancés dans des entreprises alternatives, mettant l’homme au cœur du travail… Certes, on peut se demander si l’évangélisation ne serait pas à reprendre en ces lieux, mais les dialogues que nous avons eus avec eux, quant à leurs styles de vie, étaient tellement dans la ligne de Laudato si, que nous en étions bouleversées.

Notre route a été aussi marquée par la prière quotidienne, et la joie de la vivre en inter-Congrégations franciscaines (FMM et Petite sœur de St François).
Nous rendons grâce à Dieu qui nous a gardées « au départ et au retour », nous donnant de palper sa bienveillance et sa providence, au travers l’accueil que nous avons vécu. Nous remercions nos Congrégations qui nous ont permis de vivre cette expérience forte, ainsi que tous ceux qui, de loin ou de près, nous ont portées dans la prière, particulièrement le Père Gilles et l’équipe d’animation paroissiale de Ste Anne.

Voici quelques échos de nos rencontres :

Notre route traverse ce qui nous semble être une scierie… A y regarder de plus près, nous découvrons un nom qui nous est familier : « Ambiance bois ». Plusieurs personnes nous ont parlé de cette entreprise hors du commun.
Nous entrons, accueillies par une femme qui prendra un long moment pour nous raconter cette aventure humaine et économique : 6 jeunes venus de Paris il y a 30 ans se lancent pour créer une entreprise de construction d’aménagement et de rénovation de l’habitat en bois. Des choix éthiques forts… pour « travailler autrement » : 4 jours de travail par semaine pour favoriser la création d’emplois, un salaire égal pour tous, des décisions prises tous ensemble, un responsable tiré au sort pour deux ans, la possibilité d’occuper à tour de rôle tous les postes dans l’entreprise, le choix de travailler sur des chantiers proches pour privilégier une qualité de vie… « L’humain au cœur de l’entreprise » nous dira-t-elle. « L’écologie intégrale » nous dirait le Pape François : dans ses dimensions humaines, sociales, économiques et écologiques.
Au fil des échanges avec cette personne, les partages vont au-delà : sur ses enfants devenus grands, les questions d’éducation, la valeur du travail, notre vie religieuse, le travail dans nos vies… Des questions pertinentes qui ouvrent au dialogue : « Mais comment pouvez-vous être proches des gens avec une vie si différente… ? » A la fin, un éclair de joie et de complicité : elle porte un prénom bien franciscain… Clarisse ! Et elle a vécu dans un domaine de maisons « Saint François d’Assise » ! Nous reprenons notre route, témoins d’une autre manière de travailler, qui nous émerveille et nous interpelle… !

Une autre rencontre nous a marquées… : nous sommes accueillies un midi dans une famille avec Marguerite, une personne âgée et ses deux fils. Elle parle très bas, compte sur ses doigts… le premier contact est étrange. En fait, elle nous parlera beaucoup… mais il est si difficile de la comprendre… nous apprendrons qu’elle a eu un cancer des cordes vocales il y a 37 ans… Quelle attention et quelle énergie il nous a fallu pour l’écouter et tenter de la comprendre. Et chez elle, quel courage et quelle volonté de communiquer, de partager… L’échange s’est installé, les rires parfois… même à travers cette pauvreté partagée… Juste au moment de partir, elle tire une feuille de son tiroir : c’est celle de la messe du 21 mars 2016, avec la bénédiction des chiens et des chasseurs, et nous entonnons d’un même cœur le refrain du chant d’entrée : « Que tes œuvres sont belles, que tes œuvres sont grandes, Seigneur… »

Un soir, alors que nous cherchions à être hébergées, une porte a été ouverte par Mauricette, une femme au visage souriant. Elle venait de rentrer de Londres, sans doute bien fatiguée du voyage. Malgré cela, elle nous a dit : « Je rentre de voyage. J’ai là quelques carottes, des avocats, un peu de sardines et du pain… Si vous êtes d’accord, nous partageons ce que j’ai ». Quelle simplicité ! Immédiatement, nous nous sommes mises ensemble à préparer le repas. Au travers sa vie et ses paroles transparaît clairement son grand respect de la création. Un petit exemple : chez elle, « pas de serviette de table en papier, car on coupe trop d’arbres », mais une serviette en tissu, partagée pour quatre… Elle qui était fatiguée, a prolongé un peu le repas, nous partageant sa vie et ses aspirations. Depuis longtemps, elle a coupé ses liens avec l’Eglise, la trouvant trop rigoriste, mais est convaincue qu’il y a une « transcendance » qui régit le monde… Cependant, lorsque nous évoquons le Pape François et son souci d’une Eglise plus simple et plus proche des gens, elle s’émeut jusqu’aux larmes. Fait touchant de la rencontre, elle donne sa chambre à coucher pour la nuit ; elle-même dormira au salon…
Le lendemain, nous lui proposons de prier les Laudes avec nous. Elle accepte avec joie, nous disant que tous les jours, elle prend un temps de méditation et fait deux heures de marche dans la campagne. Elle nous montre à la fenêtre le but de son expédition quotidienne : une croix en haut d’une colline, visible au loin. Cela donne lieu à un partage sur la prière que St François prononçait devant le Crucifix. De fait, elle prend un papier et demande que l’on puisse lui écrire cette prière, ainsi que le titre de l’encyclique (Laudato si), évoquée la veille.
Nous devons nous mettre en route. Nous la remercions de son accueil. Elle nous remercie de cette rencontre, nous disant que pour elle, « une rencontre est toujours l’occasion de faire un bout de chemin ensemble »…

« Reste avec nous, car le soir tombe et le jour déjà touche à son terme. Il entra donc pour rester avec eux. Et il advint comme il était à table avec eux, qu’il prit le pain, dit la bénédiction, le rompit et leur donna. Leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent…Mais il avait disparu devant eux. » Luc 24, 29.31
« Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi. » Ap.3, 20

Ces deux rencontres se fondent en une seule, un certain soir de notre itinérance… Le soir tombe, il est grand temps de demander à manger et de chercher à être hébergées. Nous passons et repassons devant une maison à plusieurs portes. Mais, où frapper ? Nous sommes devant l’une des petites portes, et, du fond de la cour, Louisette nous fait signe de venir et d’entrer. Nous n’avons même pas le temps de dire quoi que ce soit, que nous l’entendons dire : « Vous avez besoin de manger et de dormir »… Toutes les trois, nous en sommes bouleversées et profondément touchées : ce doit être l’amour qui voit et comprend tout… Nous goûtons d’emblée l’ambiance familiale d’hospitalité simple, joyeuse.
Louisette veut profiter de notre passage pour évoquer une souffrance : « Quand nous sommes arrivés ici, il y a deux ans, j’étais si heureuse d’habiter tout près de l’église, mais quelle déception quand j’ai réalisé qu’il n’y avait pas la messe .Et bien, par vous, c’est Dieu qui vient chez moi. Voyez, j’ai le Sacré-Cœur de Jésus ». En effet, il a une place sur le mur de la salle de séjour.
Louisette a des dons, entre autre celui de donner une seconde vie à des bidons de lessive, des bouteilles en plastique etc…. Le bidon devient un magnifique cygne au cou multicolore, accueillant les chouchous de ses deux filles. La bouteille devient une libellule toute fière de ses couleurs qui ravissent les tout-petits que garde Louisette.
Son mari et leurs trois enfants sont là, bien présents et participants de l’accueil ; toute la famille se met à préparer le repas. Nous partageons dans la joie et la reconnaissance ce moment que l’on voudrait éternel ; un avant-goût du banquet des noces. Tout juste après le repas, nous les quittons, pour aller dormir chez Amandine et Louis, leurs voisins, « veilleurs » de proximité, d’amitié et de prière, pour cette famille venue d’ailleurs.

Sr Claire PSSF, Srs Marie Claire et Suzanne FMM

 

 

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